Les couloirs de Mahoutokoro étaient silencieux, calmes et encore somnolents tandis que Juzo les parcourait en hésitant à aller prendre son petit déjeuner. Les croissants et autres viennoiseries lui manquaient. Sans parler de son thé favori, laissé chez ses parents à regret. L’esprit ailleurs, il marchait par automatisme vers la salle de classe de son premier cours de la journée, décidé à ne pas se perdre et à s’avancer dans le manuel de cours. Il n’était pas comme les autres élèves qui se levaient et vivaient un bout de vie avant chaque début de journée de classe. Ce n’était pas son habitude. Chez lui, il se levait, mangeait, s’habillait, et filait en classe. Ce rythme lui paraissait bizarre mais quelque part, il sentait que quand il aurait pris le pli, il allait apprécier.

Il marchait donc, la tête ailleurs quand il fut percuté par un bolide lancé à pleine vitesse. Sauf qu’au lieu de simplement poursuivre sa route furieuse, le dit-bolide lui sauta sur le dos en l’appelant « pote » et lui posa mille questions.

La brutalité de la rencontre conjuguée à la tête encore dans le cul de Juzo le mena à se figer sur place tout en rattrapant par automatisme l’autre pour ne pas qu’il tombe à cause de son élan. Il avait un regard perdu et halluciné fixé sur l’adolescent qui sautillait et semblait monté sur batterie magique éternelle. Il cligna des yeux une fois, deux fois, et s’assura d’un coup d’œil que l’autre en face n’était pas un esprit frappeur quelconque – bien qu’il n’en ait encore pas croisé à Mahoutokoro. Il encaissa les questions et l’enthousiasme de l’autre avec un contrôle qui le surprit lui-même. Son cerveau laguait à mort, il ne comprenait absolument pas d’où sortait ce garçon qui lui parlait comme s’ils avaient élevé les cochons ensemble. Donc il se contenta de le fixer, en écoutant sa bouche déverser ses questions et ses remarques avant de pouvoir prendre la parole.

« Je vais bien, merci de t’en soucier. Je ne crois pas qu’un seul de ces sujets te concernent. Je ne vois pas ce que tu veux dire par ma coul… » Il s’interrompit, fixa avec un œil neuf le jeune homme. Il venait de comprendre. Grâce à cette histoire de couleur et parce que ses neurones venaient enfin de se réaligner. Il se facepalma.

« Ah ! Tu me prends pour Thahan ! » s’exclama-t-il, ravi d’avoir compris.

   

   

Juzo bugua de nouveau lorsqu’il comprit que la personne en face de lui n’était visiblement pas une lumière et était sûre de son bon droit. Que devait-il faire ? Faire semblant d’être Thahan lui paraissait malhonnête, d’un autre côté il venait de se faire agresser et il se sentait dans son bon droit. Se voyait-il en parler à son jumeau ensuite qu’il se sentait mal à l’aise d’office. Donc non, mauvaise idée, ne pas mettre en application.
 
Alors quoi ? Que devait-il faire face à ce tsunami surexcité et visiblement très intime avec Thahan pour oser lui poser des questions de ce genre… Il ignorait l’âge de l’adolescent en face de lui, mais il était clairement plus jeune. Où était passé le respect aux aînés déjà ? Visiblement à la trappe avec celui-là. Il cligna de nouveau des yeux comme un hibou ébloui et soupira.
 
« Oui c’est ça, c’est ça. Puisque tu le dis. » Il n’allait pas contredire le… truc dont il ignorait le nom. Il doutait que ce soit réellement « Love »… Quand même pas ? Qui portait un tel nom ? Il n’allait donc pas le contredire, mais il n’allait pas aller dans son sens non plus.
 
« Qu’est-ce que tu fiches ici ? » demanda-t-il. Peut-être que ça lui permettrait de comprendre qui était cette puce électrique pour Thahan, et d’aviser en fonction son propre comportement. Combien de fois devait-il dire qu’il détestait ne pas être préparé à quelque chose ? Le maniaque du contrôle, c’était lui. Il fixa le garçon qui venait de lui sortir qu’il était Thahan comme si c’était l’évidence même. C’était vrai que de son point de vue, ça devait l’être puisqu’il ne pouvait y avoir deux Thahan. Sauf qu’il était Juzo, lui, pas son frère jumeau. Devait-il lui balancer qu’il était le… ? OH !
 
« En vérité je suis le jumeau maléfique de Thahan, c’est la raison de ma couleur de cheveux. Pour montrer mon côté sombre et malveillant tu vois ? » débita-t-il d’un coup en se sentant extrêmement idiot. Est-ce qu’il venait de piquer cette idée aux délires qu’avait parfois Eiji avec son meilleur ami ? Oui. Il venait de faire ça. Et il se sentait à la fois honteux et franchement amusé en regardant la réaction de l’autre.

   

   

Juzo pouvait enfin voir le visage de lutin de l’autre énergumène. D’un point de vue extérieur, si on oubliait cette malice et ces manières franchement moyennes, il était plutôt mignon - dans le genre pas fini de grandir. Et ce sourire complètement con qui illuminait son visage donna envie à Juzo de se facepalm. Il se contenta donc de hausser un sourcil aux délires de l’autres concernant ses raisons d’être là et se garda bien de réagir plus. Il ne savait pas quoi faire de ce garçon.

Sa réaction à sa « révélation » le fit légèrement sourire. Il avait envie de tapoter la tête du garçon avec pitié mais se retint. Ça n’était pas très gentil et l’autre ne comprendrait pas en prime. Il soupira et haussa les épaules, s’amusant de réussir à disséminer du vrai dans le faux… et que le gamin en face y croit comme si c’était tout à fait normal de débiter des bêtises pareilles.

« Je suis né avec. » répliqua-t-il en prenant un faux air désolé pour lui faire comprendre qu’il se moquait de lui.

Il cligna les yeux. Est-ce que l’autre venait de lui demander son nom ? Donc il voulait bien admettre qu’il y ait un jumeau maléfique de Thahan, mais en même temps, qu’il n’était pas Thahan lui semblait impossible ? La logique de ce gosse le perdait et l’agaçait en même temps. C’était indéniable qu’il avait un pet au casque celui-là. Il soupira de nouveau – il sentait qu’il allait être abonné aux soupirs en présence du brun.

« Tu peux m’appeler Juzo-senpai » lâcha-t-il finalement, vaincu par la puce en face de lui.

Il fronça les sourcils et leva les yeux au ciel, c’était plus fort que lui mais ce gamin l’amusait et l’agaçait prodigieusement – en même temps. Il pinça les lèvres un instant avant de répondre.

« Tu as conscience qu’au final c’est ma couleur naturelle ? Et que du rouge ça ne l’est pas ? Et que c’est d’ailleurs la couleur de cheveux de Thahan ? Et… » Il cligna les yeux encore une fois et se retrouva entrainé à la suite de son kohai avant d’avoir pu souffler le « Que… ? » qui était resté coincé sans sa gorge. Le petit brun était vraiment très tactile, c’était impressionnant. Même en France où c’était quand même plus courant, on ne se comportait que très rarement avec un tel sans gêne. Surtout entre hommes. Il se détendit et se laissa faire en se disant que moins il résistait, plus vite ça passerait.

« Et tu m’emmènes où là ? » demanda-t-il avant d’ajouter en marmonnant pour lui-même en français :  « Fichu gamin complètement fou. »

   

   

Ce gamin n’était définitivement pas net, c’était la conclusion à laquelle était arrivé Juzo tandis qu’il le regardait bouger et agir d’un air blasé. Donc il restait sur l’idée de se faire appeler Love. Juzo en était désespéré, puisque c’était évident pour lui que personne ne pouvait porter un nom aussi ridicule.

Il se rendit vite compte – comme s’il ne l’avait pas déjà remarqué – que l’énergumène en face de lu ne l’écoutait pas du tout. Il s’en fichait visiblement royalement. Juzo en conclut qu’il était ce genre de personnes qui avaient juste besoin vital d’un public et puisqu’il était entrainé dans tout ça, autant qu’il en soit ce – pauvre et victimisé – public au point où il en était. Il se laissa donc entrainer à la plage, qui avait l’air d’être l’endroit le plus hype de toute l’école puisque c’était LE lieu où il arrêtait pas de se rendre avec diverses personnes. Il se demandait bien pourquoi. En soi, il ne détestait pas, mais le sable. RAH ! Le sable c’était une plaie, l’une des sept plaie d’Egypte sûrement. Ca rentrait dans tout les recoins et tu pouvais en retrouver dans tes chaussettes des mois plus tard sans comprendre comment ni pourquoi ! Il fallait vraiment que Juzo soit motivé ou n’aie rien d’autre à faire pour aller sur une plage. Or, ce n’était pas el cas aujourd’hui, il n’était pas motivé et il avait autre chose à faire. Mais « Love » s’en fichait bien, un vrai ouragan de sourires, de parlotte et de bonne humeur non contagieuse.

Ils arrivèrent donc sur la bande de sable majoritairement mouillée, et Juzo regarda autour de lui pour remarque qu’il n’y avait vraiment pas grand monde.

« Et maintenant, c’est quoi ton projet ? Te jeter dans l’eau ? » demanda-t-il, sarcastique en lançant un regard acéré au jeune homme qui le tenait toujours.